L'ARTISTE

Jean Pierre LECUYER
graveur plasticien
Photo Nine Mozas Lecuyer



L'HOMME, L'ARTISTE par :

Alain Jean André Chroniques de la LUXIOTTE
Jean-Pierre Lécuyer montre ce qu'il voit depuis la fenêtre de son atelier : des arbres, un pin incliné, la montagne d'en face -- un paysage oriental dans la lumière d'août, d'où peuvent se lever des brumes, « quand le renard fait sa soupe » dit-on dans cette vallée vosgienne. A un moment de notre entretien, il rappelle une phrase d'Hokusaï, le peintre et graveur japonais si prolifique : « J'ai 80 ans, j'ai fait des centaines de gravures, et je ne sais toujours pas ce qu'est un arbre. » On sent que Jean-Pierre Lécuyer, avec sa voix posée et calme de conteur, se situe à présent de ce côté-là. Citation révélatrice de son expérience de la gravure : un lent, un long cheminement, dans un temps qui n'est pas celui de la précipitation, de la vitesse. En le regardant mettre en place les vignettes d'une gravure sur laquelle il travaille, je pense à la chute de gros flocons de neige : un rythme, un silence qui semblent s'accorder à ce qu'il conte de son activité artistique.

« Toute personne porte en soi un matériau de prédilection. Pour moi, c'est le bois » précise-t-il. Il est graveur sur bois depuis près de 40 ans ; il aime utiliser des gouges de toutes sortes ou un outil électrique pour entailler du poirier, du noyer, mais aussi du contreplaqué, de l'isorel dur. Il a commencé à graver au milieu des bouillonnantes années 60, mais il a toujours tenu à se démarquer de l'idée d'un retour aux techniques traditionnelles, d'un retour aux sources (à une époque où l'on s'est mis à faire de la poterie, du tissage, de la gravure, de la typographie, etc.). Pour lui, la gravure sur bois, technique primitive à l'origine, peut devenir un art contemporain à part entière : si l'on grave toujours le bois, on peut aussi réaliser des intégrations de toute sorte (par exemple, d'une boite de Coca Cola compressée -- ce qu'il a fait dans sa série des Insectes) ou des assemblages très variés -- et du coup, comme il le dit avec humour « faire un petit pied de nez à la gravure traditionnelle. » C'est aussi, en fait, une manière d'affirmer sa modernité.

Au départ, il a suivi une formation de cinq ans à l'École des Beaux Arts de Nancy ; il a obtenu un diplôme national d'art graphique, qui conduit en principe vers des métiers de la publicité. Il a choisi pour thème de sa thèse (son mémoire final) l'imagerie d'Épinal. A cette époque, la fin des années 50, cette activité était plutôt en déclin, mais il a pu mener les recherches qu'il souhaitait. Ce fut une première étape. Ensuite, il a exercé une activité professionnelle et commencé à graver. Il avait en tête la vie des colporteurs qui sillonnaient autrefois les routes et répandaient des images dans les villages. Claude Gelée n'était-il pas allé avec un oncle colporteur jusqu'à Rome ? Il y eut surtout, en 1968, une rencontre capitale, celle du graveur allemand Hap Grieshaber à Reutlinger, petite ville de Souabe. Un grand bonhomme, au sens propre et au sens figuré : il l'a accueilli chez lui chaleureusement, lui que l'on disait bourru, il lui a même donné des gravures ; en fait, un vrai adoubement.

Actuellement, Jean-Pierre Lécuyer travaille sur divers projets. Il est en train de réaliser une gravure destinée à une exposition collective qui aura lieu à Lille. Parti de la proposition « à côté de la plaque », expression qui l'a visiblement inspiré, il a choisi de graver sur du contreplaqué. La planche se composera d'un cadre de vignettes imprimées en noir et d'un centre blanc avec motifs en relief. Travail sur le thème et exercice de style ; ou plutôt l'inverse : maîtrise de techniques au service d'un thème. Autre projet : la scierie du Lançoir, située dans le défilé de Straiture, une vallée vosgienne assez fascinante. Avec Jean Durand, mémoire vivante de ce lieu, il compte réaliser un livre d'artiste. Il va aussi illustrer des textes de Robert Piccamiglio pour une revue et poursuivre l'animation d'un atelier d'art à Saint-Dié-des-Vosges pendant l'année scolaire à venir.

On le voit, du travail personnel à l'enseignement, l'artiste montre un art vivant, qui se renouvelle sans cesse, bien qu'il soit méconnu du grand public qui y voit trop rapidement un art ancien. Grand animateur du groupe Xylon-France, qui regroupe des graveurs sur bois et a réalisé, en 2002, une exposition au Städtisches Kunstmuseum de Reutlingen et au Musée Pierre Noël de Saint-Dié, il participe en fait à un mouvement international qui atteste qu'une pratique ancienne peut se renouveler et produire des oeuvres d'une grande modernité.